Texte - Souffrir pour eux

''- Cela fait maintenant un an qu’il est parti.''
Je regarde cette femme d’une cinquantaine d’années installée devant moi sur sa petite chaise de bois usée par le temps. Les nombreuses rides gravées sur son visage et les profondes cernes soulignant ses yeux lui impriment en fait un âge bien plus avancé, elle me fixe de son regard triste et angoissé, me racontant sa vie. J’écoute avec attention ses paroles, essayant de comprendre ses souffrances et ses peurs, la chambre dans laquelle nous sommes réuni pour cet instant est sombre, une simple bougie posée sur la table qui nous sépare tente de faire pénétrer un peu de lumière mais n’y parvient que fort mal. On entend rien, si ce n’est les gouttes de pluie s’écrasant sur le toit de tôle de cette petite demeure d’une banlieue de Moscou. Il fait froid. Le petit chauffage dans le coin de la pièce ne fonctionne pas et les courants d’air traversant les lattes de bois, seules barrière entre nous et l’extérieur, n’aident point à réchauffer cette pièce de la maison.
Elle regarde le sol un instant puis me fixe à nouveau, son regard plein de questions auxquelles je ne pourrais sans doute pas répondre. 
Elle continue :
''- Demain, ce sera l’anniversaire de son départ. Une seule lettre m’est parvenue depuis qu’il s’en est allé pour se battre. Sûrement que les autres se sont perdues sur un chemin entre ici et là-bas, brûlées par des inconnus ou alors détruite par une roquette avec le camion qui me les amenait. Je ne sais pas pourquoi cette guerre à commencé, le Kremlin a de drôles de manières de voir les choses. Sana doutes pensent-ils que garder un pays ou une province sous leurs contrôle vaut mieux que de laisser son fils à sa mère.''
Elle se lève et s’approche d’une commode, sur laquelle j’ai négligemment posé mon imperméable et mon chapeau quand je suis rentré, en ouvre le tiroir supérieur et en tire une petite pochette en cuir noir. Puis, elle vient se réinstaller sur sa chaise et ouvre la pochette, elle en sort quelques vieilles photos jaunies par le temps et me les commente, me les passant au fur et à mesure. Parfois son visage s’anime de joie, un sourire perce son masque de tristesse mais l’instant présent revient inlassablement reposer ce masque dont elle ne peut plus se défaire depuis longtemps. Je regarde les photos qu’elle me présente, cherchant à m’emplir des souvenirs qu’elle me raconte mais ces photos ne restent finalement pour moi que des images de bonheur perdu, par des personnes que je ne connaît et ne connaîtrai sans doute jamais. J’aimerai partager la peine de cette femme mais n’y parvient pas comme je le voudrai, peut-être est-ce la peur de souffrir comme elle souffre ou peut-être n’est-ce que parce que l’homme ne peut que comprendre la douleur des autres mais pas la ressentir pleinement, et je ne suis qu’un homme finalement, personne ne me demande de pleurer avec cette femme, on me demande seulement de l’écouter et de la comprendre.
Elle arrête un instant son regard sur une des photos. Ses yeux se referme doucement et des larmes viennent humecter ses joues, elle baisse la tête et se recroqueville sur elle-même ses mains cachant son visage. Elle sanglote, animée de spasmes périodiques dû à sa respiration entravée. Je saisi la photo qu’elle a laissé tomber sur la table, elle représente une famille posant fièrement devant une église. Un homme brun, robuste, arborant une petite moustache retroussée en pointe sur ses joues et habillé d’un costume militaire porte dans ses bras un enfant d’environ trois ans, souriant et regardant l’objectif avec ses yeux sans doute bleus d’une clarté saisissante. Une femme se tient à leurs côtés, le sourire aux lèvres. Cela doit être la femme en train de se convulser devant moi, comme elle était belle et radieuse autrefois me dis-je. Retrouvant ses esprits et séchant ses larmes elle me regarde, s’excuse pour cette effusion de larmes, et m’explique :
''- Cette photo représente mon mari et mon fils il y a de cela trente ans, mon mari devait partir en guerre contre les nazis à l’époque et nous avions pensez que prendre cette photo devant l’église où nous nous étions mariés nous porterait chance.
Nous avions tous essayez de sourire et de paraître le plus heureux possible pour qu’en la regardant nous restions positif. Mon mari n’est jamais revenu de cet enfer glacé, il était convaincu de se battre pour la liberté de sa famille, il est donc mort heureux d’avoir fait son devoir mais triste de ne plus jamais pouvoir revoir sa famille.
A présent c’est mon fils qui est parti et ce n’est plus la même chose qu’à l’époque, il ne pensait pas devoir faire cette guerre là, tuer des gens qui ne désirent que leur autonomie et leur liberté, il avait l’impression d’être devenu le nazi dans cette guerre là et quand il est parti il m’a dit que si nous gagnions ce ne serai pas juste ni pour Dieu ni pour les hommes.
J’ai perdu mon mari et je ne sais pas que deviendra mon fils, tout cela pour des valeurs, pour des raisons économiques ou territoriales. Cela en valait-il la peine ? Je vous dit que non mais mon implication est certainement trop grande pour rester impartiale.''
Son visage exprime une haine incroyable qui contraste étonnamment avec ses sanglots d’il y a deux minutes, ses mains serrées de colère et ses sourcils froncés elle m’avait parlé d’une voie sûr et sans faille. Je regarde la photo encore une fois comme pour l’inscrire dans ma mémoire à jamais, comme pour prendre un peu de sa colère et de son désarroi avec moi dans ma vie.

''- Pourquoi êtes-vous venu me voir monsieur ?'' me demande-t-elle.

Je n’ai pas le courage de lui répondre, comment lui expliquer que je ne suis pas venu que pour la voir et l’écouter parler de son fils. Comment pourrais-je lui expliquer que je suis en fait son pire ennemi, faisant moi-même partie des militaires et des instances gouvernementales qu’elle hait de toute son âme. Comment lui dire que je suis venu pour lui rendre la mort de son fils connue. Je ne peux plus à présent. Je lui dit qu’il est tard et que je dois partir, me lève rapidement espérant qu’elle se taise simplement et me laisse partir mais elle m’a déjà oublié regardant à nouveau ses photos elle recommence à sangloter. Je met mon imperméable et mon chapeau, la regarde encore une fois. J’aimerai qu’un miracle se réalise pour cette femme, que quand j’ouvrirai la porte pour m’en aller, il y aura un jeune homme de l’autre côté. Un jeune homme souriant dans son habit militaire, heureux de rentrer chez lui. Je saisi la poignée, et ferme les yeux essayant de me concentrer sur ce miracle. J’ouvre la porte mais derrière cette porte il n’y a que la pluie tombant sans cesse. Le vent balaye la rue où personne ne s’attarde à regarder cette petite maison d’où je sort à présent. Le miracle n’a pas eu lieu. Des feuilles mortes traînent sur le sol, poussées par le vent elles tourbillonnent autour de moi comme pour me protéger de ce malaise. Malheureusement, elles ne peuvent rien pour moi. C’est de moi dont j’ai peur à présent, n’étant plus sûr de mes choix, de mes valeurs et de mes actes passés et avenirs. Je referme la porte sur ce qui à présent devient un souvenir angoissant et qui plus jamais ne me quittera.

18 octobre 1999 G.Cerbero

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